Le paradoxe du mondial localié
Peut-on encore parler de “produit local” quand les matières premières viennent de l’autre bout du monde ? Une réflexion sur les contradictions ordinaires entre nos étiquettes… et la réalité.
Il n’y a pas longtemps, dans mon travail pour une entreprise de transport international, j’ai discuté avec un client qui affirmait produire localement des bonbons. Au fil de la conversation, il m’a expliqué que la réglisse venait d’Australie, certains colorants de Turquie, et le packaging de Chine.
Et là, une question m’est venue : à quel point est-il vraiment local ?
On peut se rassurer, un peu : pour les aliments bruts — la viande, le poisson, les fruits ou les légumes — il existe une obligation légale, en France, d’indiquer l’origine.
Mais pour le reste, il n’existe actuellement aucune définition juridique d’un “produit local”.
Dans une société où les consommateurs se montrent de plus en plus attentifs sur l’origine de leurs produits, cela paraît absurde. Et pourtant, c’est vrai.
À l’inverse, la mention “Made in” est bien encadrée légalement : elle désigne le pays où a eu lieu la dernière transformation substantielle d’un produit.
Mais dans la réalité — et dans l’esprit de beaucoup — ces deux notions se mélangent. Elles sont souvent utilisées comme des synonymes, que ce soit par les marques… ou par les consommateurs. Je sais que “local” et “Made in” ne sont pas synonymes. Mais dans la manière dont on consomme — et dont les marques communiquent — les deux se croisent sans cesse. Et c’est précisément dans ce croisement flou que je voulais me placer.
En apprenant qu’il n’existait pas de définition officielle, je me suis alors demandée : qu’est-ce qui devrait définir un produit local ? Son lieu de fabrication ? L’origine des matières premières ? Est-ce que le local doit s’arrêter au produit lui-même ou inclure ce qui l’entoure — le packaging, le marketing ? Un mix de tout cela ?
Si l’on part sur l’hypothèse du lieu de fabrication, comme c’est le cas pour le “Made in”, cela me paraît réducteur. Pour moi, cela va à l’encontre de ce que je recherche dans un produit local, par exemple. Certes, la production est en France, c’est bon pour notre économie, pour notre marché du travail. Mais si les matières premières viennent de l’autre bout du monde, est-ce que cela change vraiment quelque chose, d’un point de vue éthique et environnemental ? À mes yeux, pas tant que ça.
L’origine des matières premières semble plus juste. Quand on cherche un produit local, cela ne sous-entend-il pas qu’on souhaite favoriser les circuits courts, avoir un impact à la fois économique et écologique ? Mais peut-on vraiment exiger cela dans une économie mondialisée ?
Nous vivons dans un monde interdépendant, qu’on le veuille ou non. Certaines matières premières ne peuvent tout simplement pas être produites en France. Le café, le cacao, la vanille, certaines épices (poivre noir, curcuma) — ce sont des produits bruts qui ne peuvent être cultivés sur notre territoire, principalement pour des raisons climatiques.
On pourrait se dire qu’on peut s’en passer. Mais c’est aussi le cas d’autres ressources qu’on retrouve dans notre quotidien. Le beurre de karité, l’huile de coco, l’huile de jojoba sont très utilisés dans l’industrie cosmétique, mais ne peuvent pas pousser ici.
Côté tech, le lithium et le cobalt, indispensables aux batteries, sont des métaux qu’on ne peut pas extraire en France.
En rédigeant ce texte, je suis tombée sur le cas du nickel, métal principalement utilisé pour produire de l’acier inoxydable — qu’on retrouve facilement dans nos cuisines. Sans surprise, en métropole, il n’y a pas de nickel.
Cela dit, j’ai découvert que la Nouvelle-Calédonie, territoire d’outre-mer, représente environ 25 % des réserves mondiales. Et ça m’a frappée : après tout, c’est un territoire français, il participe à notre économie. Mais le fait que ce nickel traverse la moitié du globe avant d’être utilisé ici ne va-t-il pas à l’encontre de ce que j’imagine comme étant local ? Est-ce que le simple fait d’appartenir à la même nation suffit à le rendre “proche” ? Pour l’instant, je ne saurais dire.
Au-delà du produit lui-même, ne devrait-on pas prendre en compte également ce qui l’emballe ? Et tout ce qui façonne l’image du produit — packaging, supports de communication, visuels — est-ce que ça ne compte pas aussi, d’une certaine manière ?
De nombreux produits dits locaux aujourd’hui sont emballés avec du packaging venu d’ailleurs. Les goodies promotionnels sont aussi parfois importés, notamment de Chine, en raison de leur faible coût de production. Même si cela ne touche pas directement le produit, est-ce que ça ne devrait pas compter dans la définition du “local” ?
Mais au fond, au-delà de la géographie, de la matière, du packaging… ne faudrait-il pas surtout se demander ce que le mot “local” évoque pour chacun de nous ? Est-ce que cette définition est la même selon les produits ?
J’en ai discuté avec mon entourage. Et même si nous avions parfois des définitions différentes de ce qu’est le “local”, quelque chose d’assez uniforme en est ressorti : le local, c’est souvent l’authenticité, la proximité, et l’écologie.
Ce qui m’a un peu surprise, c’est que ce rapport varie en fonction du type de produit.
Pour l’alimentaire, tout le monde s’accordait : le local, c’est quelque chose de proche de chez nous, dans notre région.
En revanche, dès qu’on parle d’un produit pour la maison — une table, un appareil électronique — les réponses étaient plus nuancées. Pour certains, c’était plutôt le lieu de fabrication qui comptait. Pour d’autres, c’était un mélange entre provenance des matières premières et fabrication. On m’a même parlé d’un pourcentage de composants français comme critère.
Je me retrouve dans ces réponses. Elles me semblent réalistes, à la fois sur le monde dans lequel on vit, et sur notre volonté d’être plus conscients dans nos achats.
Je me suis demandée si, pour un meuble, le bois français suffisait à me convaincre. Ou si je préférais encore un meuble assemblé localement, mais avec du bois venu d’ailleurs.
Là encore, difficile de trancher. Et si je souhaite les deux, suis-je prête à payer plus cher pour un produit qui répondrait à toutes ces exigences ?
Une autre idée est ressortie de ces échanges : et si les marques étaient simplement plus transparentes ? Est-ce que cela renforcerait la confiance dans leurs produits ? Ou, au contraire, modifierait notre manière de consommer ?
En tant que consommatrice, j’essaie d’être attentive. Mais entre les labels, les slogans, les petits drapeaux bien choisis… je me demande parfois si ce qu’on nous vend comme local ne relève pas davantage d’un idéal que d’une réalité.
Les casquettes Make America Great Again de Donald Trump, fabriquées en Chine, ne sont-elles pas un parfait exemple de cette dissonance entre discours et réalité ?
On le sait, certaines marques jouent de la proximité ou de la mention “Made in France” comme d’un véritable argument marketing. Et peut-être est-ce justement parce que certaines entreprises exagèrent, que la méfiance s’installe peu à peu autour de ces appellations ?
C’est peut-être pour toutes ces raisons qu’il n’existe — pas encore — de définition juridique du local. Parce que cela diffère selon les personnes, et que tout est affaire d’interprétation. Et dans une économie globalisée, ce serait peut-être trop complexe, trop contraignant à encadrer.
Je pense que la pureté écologique est plus souvent un frein qu’une opportunité, et vouloir un produit intégralement français - de l’origine des matières premières à la fabrication - a ses limites dans bien des domaines.
Mais peut-être que le plus important n’est pas d’avoir une définition parfaite du local. Le plus important, c’est peut-être d’être déjà attentif•ve à ce que l’on achète, d’avoir conscience de la part locale… et de la part non locale d’un produit.
Et peut-être que si l’on prenait un peu plus le temps pour lire les étiquettes, ce serait déjà un changement. Un petit pas, certes. Mais un pas quand même - même si l’étiquette a été imprimée à Shenzhen.
A. Walker
Point d’équilibre
Collection : Dissonances ordinaires
Ces petits écarts du quotidien entre ce qu’on croit, ce qu’on dit, ce qu’on fait. Rien d’extraordinaire, mais parfois assez pour troubler.
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Réflexion très intéressante! Je suis capable de définir ce qui est local pour l’alimentation, mais au-delà… ça devient plus compliqué!